Sortir de l’ « impuissance apprise »
Curieuse idée que de s’interroger sur le devenir de l’enseignant du secteur privé dans un contexte national marqué par une insuffisance criarde de l’offre d’éducation dans le secteur public, donnant suite au foisonnement des établissements privés. Le besoin en personnel enseignant ne s’est jamais autant fait ressentir au Cameroun, d’autant plus que, depuis 2016, la crise qui secoue les régions anglophones – et l’exode massif de populations qu’elle occasionne vers les régions non touchées – a non seulement bouleversé la carte scolaire du pays, mais surtout renforcé les besoins en éducation à l’intérieur et autour des régions en crise. Ces contingences liées, en partie, à la conjoncture politique viennent se greffer aux lacunes structurelles qui caractérisaient déjà le système éducatif camerounais, en termes de qualité – des enseignements notamment – et de quantité – des établissements scolaires publics en l’occurrence – au vu de la poussée démographique qui met sous tension le climat social camerounais depuis quelques décennies. Toujours est-il que cette situation n’est pas pour améliorer les conditions de vie et de travail dans un secteur privé qui a du mal à se remettre de la crise économique des années 1990. Pis encore, le maintien en vigueur d’un Code du Travail adopté dans un contexte de stress économique (1992) vient constituer en quelque sorte le boulet de trop que doivent traîner des centaines de milliers d’enseignants pris en otage par des promoteurs d’établissements véreux, sous le regard complaisant de l’État. Enfin, la réticence quasi généralisée des travailleurs du secteur privé à défendre leurs droits sous la bannière d’un syndicat, vient non seulement consolider le mal, mais surtout l’ériger en paradoxe. Qu’est-ce qui explique donc le fait que nous, travailleurs de l’enseignement privé, aussi nombreux que nous sommes, peinions autant à adhérer aux syndicats afin de défendre nos droits ? Comment se défaire de cette aversion pour la chose syndicale ?
Tout se passe comme si l’avènement de la société de consommation et son lot d’avatars avaient réussi à obscurcir tout ce qu’il y a d’avenir, d’histoire, de valeurs, d’espérance, d’idées pouvant constituer l’essence de ce qui constitue notre humanité. Elle nous aura cantonnés, nous, enseignants, à l’assouvissement des besoins primaires : se nourrir, se loger, se vêtir, etc…, au prix de si grands sacrifices qu’il n’est sûrement pas mal placé de dire qu’au Cameroun, seuls les « chanceux » y parviennent. Cette course à l’assouvissement des besoins élémentaires rythme tant la vie quotidienne de nous autres, enseignants du secteur privé, que nous peinons, pour la plupart d’entre nous, à nous défaire de la logique du « tout de suite et maintenant ! ». Cependant, en nous y focalisant, il nous échappe l’évidence selon laquelle nos salaires, nos conditions de travail, ne sont pas optimales. Pis encore, nous ne faisons rien pour les faire améliorer, à cause de notre ignorance ou notre réticence à les défendre valablement, avec les armes que la nature (notre majorité écrasante) et l’État (les textes réglementaires) ont mis à notre disposition.
Dans ce conditionnement, nous créons, dans notre subconscient, un univers de forcené ou de désespéré qui s’agrippe à des artefacts de fortune ; univers que nous entretenons si bien à force de courbettes devant l’employeur, ou sur fond de luttes intestines pour des répétitions à domicile. Ce tableau illustre à suffisance l’« obsolescence de l’homme » au sens du philosophe allemand Günther Anders. Elle traduit, surtout notre aveu d’impuissance… une « impuissance apprise », au sens où l’entend le psychologue Martin Seligman. Il s’agit, en quelque sorte, d’une « perte de confiance en ses capacités à réussir en mobilisant ses efforts suite à des échecs répétés ou une absence de retour sur investissement ». D’après le psychologue canadien Marc Vachon, l’impuissance apprise repose alors sur trois caractéristiques : 1/ Le sentiment que la situation est permanente et qu’on n’y arrivera jamais ; 2/ Le sentiment d’être victime en disant « ce n’est pas ma faute ! Je n’y peux rien ; 3/ Le sentiment d’envahissement.
En fait, la vérité est que bon nombre d’enseignants sont convaincus de l’hyperpuissance du patron, tellement ils subissent son omniprésence. D’aucuns en sont venus à le déifier, car il faut dire que certains patrons ne rechignent guère à suppléer le juste salaire par des cadeaux occasionnels dont le caractère éphémère a parfois le mérite d’aliéner leurs bénéficiaires. Si l’octroi de cadeaux rend évident le « pouvoir rétributif » de l’employeur, il n’en tue pas moins le bénéfice chez l’employé qui le quête. Pris dans le carcan des cadeaux, des bonifications ou faits de générosité du patron, le salarié ne trouve plus la force de revendiquer, par crainte de perdre ces privilèges occasionnels. Il ne pourra plus revendiquer un salaire juste, de meilleures conditions de travail, et encore moins une sécurité optimale. Il devient résigné et subit la précarité de sa situation sans vouloir en changer le déroulement. D’où l’on voit que la « bonté » de l’employeur peut devenir le tombeau des revendications véritables de l’employé.
Cette déification de l’employeur s’accompagne d’une diabolisation du syndicat de la part du salarié lui-même. En effet, soit l’employé est intimidé par la capacité de nuisance de son employeur, soit il est obnubilé par sa dépendance vis-à-vis de la « générosité » de ce dernier. D’une part, l’intimidation est une réalité omniprésente dans la relation employeur-employés dans les structures d’enseignement privées. L’ignorance dans lequel se trouvent la plupart des enseignants du secteur privé concernant leurs droits et obligations en tant que travailleurs, les dessert généralement et constitue la cause principale de leurs déboires au sein de l’entreprise (licenciement abusif ou non, salaire injuste, conditions de travail précaire, relation tendue avec les collègues et/ou l’administration, etc.). Parfois, même conscients de leur ignorance, d’aucuns se laissent mollement convaincre par un prosélytisme antisyndical de la part de l’employeur, au point d’en devenir parfois des relais auprès de leurs propres collègues. À ce stade, la division entre collègues ne tarde pas à se faire ressentir, voire à détériorer les relations inter-personnelles, au détriment de la cohésion interprofessionnelle. D’autre part, la dépendance vis-à-vis d’un patron « généreux » a souvent l’effet de créer une « chasse aux primes » qui, sous l’instigation d’un employeur perfide, engendre une dangereuse compétition qui a le don de détruire la cohésion et décourager toute initiative collective. D’où l’on voit qu’une masse d’enseignants, potentiellement forte, se laisse diviser par le promoteur d’établissement ; chaque individu n’étant préoccupé que par le souci de s’attirer la sympathie et les faveurs du patron.
Hannah Arendt résume et explique si bien le sens et la portée de la situation évoquée ci-dessus, lorsqu’elle dit : « La principale caractéristique de l’homme de masse n’est pas la brutalité ou le retard mental, mais l’isolement et le manque de rapports sociaux normaux ». À en croire la philosophe allemande, nous échouons tous à force d’individualisme. En nous recroquevillant chacun sur soi et en considérant comme détail ou inutile l’accompagnement syndical, nous faisons preuve d’ignorance ou d’une ingratitude devant l’histoire qui reconnait au syndicat toutes les mutations positives qu’a connu et connait le monde du Travail. Nous avons tendance à croire, pour ceux qui y adhèrent et payent régulièrement leurs cotisations pour que le syndicat soit efficace, mais restent en retrait, que cela suffit. Hélas, Nous sommes bien loin du compte ! Car c’est la foule qui fait le syndicat, et non le contraire. Nous perdons de vue l’essentiel, à savoir que c’est dans les grands ensembles que se trouve le véritable pouvoir. Un pouvoir qui persuade l’oppresseur de la force de ses vis-à-vis, et le dissuade de mobiliser ses artefacts et stratagèmes d’oppression. En clair, dans un contexte comme le nôtre, marqué par l’oppression et la paupérisation, seuls les grands ensembles ont le pouvoir de faire et de défaire les décisions au profit de leurs membres. Dans le cadre du SYNTESPRIC, nous pouvons y parvenir et la rétribution ne saurait tarder au bénéfice de tous et dans une commune mesure, si nous nous engageons tous à constituer un bloc uni et soudé.
UNISSONS-NOUS !
please, th translation below, isn't the professionnal one. it's just to try to share somthing with our anglophone comrades. For a revival of trade union action in private education circles in Cameroon: Getting out of "learned helplessness"
Curious idea to wonder about the future of the private sector teacher in a national context marked by a glaring insufficiency of the education offer in the public sector, following the proliferation of private establishments. The need for teaching staff has never been felt so much in Cameroon, especially since, since 2016, the crisis that has shaken the English-speaking regions - and the massive exodus of populations it causes to unaffected regions - has not only upset the school map of the country, but above all reinforced the needs for education inside and around the regions in crisis.These contingencies linked, in part, to the political situation come on top of the structural shortcomings that already characterized the Cameroonian education system, in terms of quality - of teaching in particular - and quantity - of public schools in this case - in view of the population growth that has been putting the Cameroonian social climate under tension for several decades. Still, this situation is not to improve living and working conditions in a private sector that is struggling to recover from the economic crisis of the 1990s. Worse still, the maintenance of a Code of Labor adopted in a context of economic stress (1992) comes to constitute in a way the burden of too much that must drag hundreds of thousands of teachers taken hostage by promoters of crooked establishments, under the complacent gaze of the State. Finally, the almost general reluctance of workers in the private sector to defend their rights under the banner of a union not only consolidates the evil, but above all sets it up as a paradox. So what explains the fact that many of us private education workers find it so hard to join unions in order to defend our rights? How do you get rid of this aversion to the union thing? Everything happens as if the advent of the consumer society and its share of avatars had succeeded in obscuring all that there is of the future, of history, of values, of hope, of ideas that could constitute the essence of what constitutes our humanity. It will have confined us, us teachers, to the satisfaction of basic needs: food, housing, clothing, etc., at the cost of such great sacrifices that it is surely not in the wrong place to say that in Cameroon, only the 'lucky' make it.This race to satisfy basic needs so punctuates the daily life of us teachers in the private sector that most of us struggle to get rid of the logic of "immediately and now!" ". However, by focusing on it, we miss the obvious that our wages and our working conditions are not optimal. Worse still, we do nothing to improve them, because of our ignorance or our reluctance to validly defend them, with the weapons that nature (our overwhelming majority) and the State (regulatory texts) have placed at our disposal. . In this conditioning, we create, in our subconscious, a universe of mad or desperate clinging to makeshift artifacts; universe that we maintain so well by dint of kowtows in front of the employer, or against the backdrop of internal struggles for rehearsals at home. This painting amply illustrates the "obsolescence of man" in the sense of the German philosopher Günther Anders. It translates, above all, our confession of helplessness... a "learned helplessness", in the sense understood by the psychologist Martin Seligman. It is, in a way, a "loss of confidence in one's ability to succeed by mobilizing one's efforts following repeated failures or a lack of return on investment". According to Canadian psychologist Marc Vachon, learned helplessness is then based on three characteristics: 1/ The feeling that the situation is permanent and that we will never get there; 2/ The feeling of being victimized by saying "it's not my fault!" I can do nothing ; 3/ The feeling of invasion. In fact, the truth is that many teachers are convinced of the superpower of the boss, so much they suffer from his omnipresence. Some have come to deify it, because it must be said that some bosses are not reluctant to supplement fair wages with occasional gifts whose ephemeral nature sometimes has the merit of alienating their beneficiaries. While the giving of gifts makes the "retributive power" of the employer obvious, it kills the benefit in the employee who seeks it. Caught in the shackles of gifts, bonuses or acts of generosity from the boss, the employee no longer finds the strength to claim, for fear of losing these occasional privileges. He will no longer be able to claim a fair salary, better working conditions, and even less optimal security. He becomes resigned and suffers the precariousness of his situation without wanting to change the course. Hence it is seen that the "goodness" of the employer can become the grave of the true grievances of the employee. This deification of the employer is accompanied by a demonization of the union on the part of the employee himself. Indeed, either the employee is intimidated by his employer's capacity for nuisance, or he is obsessed with his dependence on the latter's "generosity". On the one hand, bullying is an omnipresent reality in the employer-employee relationship in private educational structures. The ignorance in which most teachers in the private sector find themselves concerning their rights and obligations as workers, generally works against them and constitutes the main cause of their setbacks within the company (wrongful dismissal or not, unfair salary, precarious working conditions, strained relationship with colleagues and/or administration, etc.). Sometimes, even aware of their ignorance, some let themselves be half-heartedly convinced by anti-union proselytism on the part of the employer, to the point of sometimes becoming relays to their own colleagues. At this stage, the division between colleagues does not take long to make itself felt, even to deteriorate interpersonal relations, to the detriment of interprofessional cohesion. On the other hand, dependence on a "generous" boss often has the effect of creating a "bonus hunt" which, instigated by a treacherous employer, engenders a dangerous competition that has the gift of destroying cohesion and discouraging any collective initiative. From which we see that a mass of teachers, potentially strong, allows itself to be divided by the promoter of the establishment; each individual being preoccupied only with the concern of attracting the sympathy and favors of the boss. Hannah Arendt sums up and explains the meaning and scope of the above situation so well, when she says: "The main characteristic of the mass man is not brutality or mental retardation, but isolation. and the lack of normal social relationships”. According to the German philosopher, we all fail because of individualism. By curling up on each other and considering union support as a detail or useless, we show ignorance or ingratitude in the face of history, which recognizes in the union all the positive changes that the world of Work. We tend to believe, for those who join and regularly pay their dues for the union to be effective, but remain in the background, that enough is enough. Alas, We are a long way off! Because it is the crowd that makes the union, and not the other way around. We lose sight of the essential, which is that the real power is in the big projects. A power that persuades the oppressor of the strength of his counterparts, and dissuades him from mobilizing his artefacts and stratagems of oppression. Clearly, in a context like ours, marked by oppression and impoverishment, only large groups have the power to make and undo decisions for the benefit of their members. Within the framework of SYNTESPRIC, we can achieve this and the reward will not be long in coming for the benefit of all and in a common measure, if we all commit ourselves to forming a united and welded block. let's be one Toug Moise